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Better Safe Than Sorry: CEO Regulatory Focus and Workplace Safety

Auteur(s)
Qian, C., Balaji, P., Crilly, D. & Liu, Y.
Numéro
2023 Février
DOI
https://doi.org/10.1177/01492063221146754

Formats disponibles

    Résumé

    Qian, C., Balaji, P., Crilly, D. & Liu, Y. (2023). Better Safe Than Sorry: CEO Regulatory Focus and Workplace Safety. Journal of Management. https://doi.org/10.1177/01492063221146754

     

    Notre avis

    📖📖📖 📖 Un article d’auteurs de l’université de Dallas (Texas, USA) concernant l’influence du style des dirigeants sur la sécurité du travail. Il s’agit d’un regard original sur le management des entreprises très en lien avec le style propre à chaque dirigeant et qui nourrit aussi la montée en puissance des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). À découvrir.
     

    Notre synthèse

    L’engagement socialement responsable des entreprises n’a cessé de croître au cours des trois dernières décennies. L’analyse de la « responsabilité sociétale » de l’entreprise dans la portée de ses décisions s’est beaucoup penchée sur les choix stratégiques collectifs des conseils d’administration (CA), décidés en fonction d’une analyse conjoncturelle : arbitrages, emplois, investissements, localisations, délocalisations y compris des sous-traitants, participation à la solidarité nationale, etc.

    En comparaison, la littérature est moindre quant aux rôles propres des décideurs en tant qu’individus qui composent ces CA dans la promotion des valeurs organisationnelles, éthiques et morales (Hemingway et Maclagan, 2004 ; Post et al., 2002). Les PDG poursuivent des objectifs multiples et contradictoires ; leur prise de décision est partiellement influencée par leurs préférences individuelles.

    Cet article analyse ces décisions des hauts dirigeants en lien avec les pratiques RSE en faisant appel à la théorie de l’échelon supérieur (UET, pour Upper echelons theory) (Hambrick et Mason, 1984). L’article comporte deux grandes parties. La première décrit les éléments de la théorie de l’échelon supérieur en reprenant surtout l’opposition entre un style du dirigeant centré sur la « performance » et un style centré sur la « précaution et prévention ». La seconde partie teste les fondamentaux de la théorie en analysant les performances de 500 entreprises américaines de 2002 à 2011.

    La théorie des échelons supérieurs

    La théorie des échelons supérieurs documente les influences des PDG et de l’équipe dirigeante sur leurs entreprises via leurs croyances et valeurs politiques, leur narcissisme, leur orgueil et leur expérience personnelle. Dans ce cadre, les résultats de l’entreprise, et notamment sa croissance (Weinzimmer, 1997), seraient le reflet des caractéristiques ‒ démographiques et cognitives ‒ de ses principaux dirigeants.

    Cette théorie s’appuie sur la théorie des focus régulateurs (regulatory focus theory), notion issue de la psychologie sociale qui analyse les processus mentaux mobilisés par les dirigeants pour définir leurs buts et sélectionner les moyens pour les atteindre (Crowe & Higgins, 1997). Deux orientations (ou focalisations) des dirigeants sont identifiés dans cette théorie :

    • Une orientation focalisée sur les gains (promotion focus, dans la littérature en langue anglaise), qui vise à dépasser les objectifs de productivité et répondre à l’image externe donnée aux marchés ;
    • Une orientation plus sensible à la prévention, à la précaution, à la prudence et la perte financière, qui vise à éviter les effets indésirables (Higgins, 1997, 1998 ; Lanaj, Chang et Johnson, 2012).

    Gamache, Neville, Bundy et Short (2020) ont constaté que les PDG axés sur les gains s’engagent dans des initiatives plus sociales et de recherche d’image externe, tandis que les PDG axés sur la prévention ont tendance à prôner des stratégies de conformité aux objectifs plus internes à l’entreprise.

    Alors qu’un PDG focalisé sur les gains est « soucieux d’une image positive et d’exhiber des traits vertueux financiers et économiques », un PDG focalisé sur l’axe de prévention sera surtout « concerné par le maintien des obligations inscrites dans sa logique de régulation » (Cornwell & Higgins, 2015 : 312).

    Dans les deux cas, contrairement aux tentatives proactives pour créer de la valeur sociale (par exemple, les initiatives pour « faire le bien » [Crilly, Ni, & Jiang, 2015], avec le principe éthique de bienfaisance) qui ont fait l’objet d'études antérieures, certaines initiatives visent surtout à minimiser les dommages potentiels pour les parties prenantes.
    Ces initiatives, pour « ne pas nuire » (conformément au principe de non-malfaisance), se concentrent sur le respect des obligations et évitent de faire peser sur les parties prenantes des coûts sociaux et/ou économiques (Crilly et al., 2015) ; ce qui est distinct de l’irresponsabilité sociale qui « porte atteinte aux revendications légitimes à long terme d’un acteur social identifiable » (Strike, Gao & Bansal, 2006 : 852).

    Mécanisme d’impact du style des dirigeants sur la sécurité du travail

    Les accidents du travail et arrêts maladies sont coûteux, ils représentent jusqu’à 4 % du coût du travail. La littérature sur la santé au travail décrit largement les facteurs organisationnels (poste de travail, management...), mais elle inclut aussi des aspects plus globaux comme la logique capitalistique de l’entreprise.

    Les règles de sécurité imposées aux employés contribuent considérablement à la sécurité du travail (port d’équipements de production, etc.).

    L’orientation de régulation des PDG affecte la sécurité au travail essentiellement par le biais de la modification de la charge de travail des employés, un déterminant clé de la sécurité comme mécanisme de médiation (Qian, Crilly, Lin, Zhang, & Zhang, sous presse).

    Bien que les PDG influencent la sécurité au travail par divers canaux (les politiques, la culture organisationnelle, etc.), le point le plus sensible reste l’attribution des ressources, y compris des ressources humaines, d’une manière qui affecte les charges de travail de chacun. Il s’agit du mécanisme le plus contributif à la survenue des accidents de travail et nous verrons qu’il s’exerce très différemment selon les styles des dirigeants. Au-delà de la valeur financière de ces engagements de sécurité, les employés qui perçoivent leur leader comme engagé pour la sécurité sont eux-mêmes plus engagés.

    Sécurité du travail des dirigeants centrés sur la prévention/précaution

    Les dirigeants centrés sur la « prévention » n’aiment pas les retours négatifs du terrain lors des CA ; ils veulent éviter les surprises pour eux, pour les membres du CA et les actionnaires. Dans leur façon de réguler l’entreprise, ils responsabilisent leur chaîne managériale pour prévenir les mauvais résultats. Ils sont plus attentifs aux absences de problèmes (non-loss) qu’à toute survenue de problèmes (loss). Pour le dire autrement, l’absence de surprise est recherchée comme un résultat positif important. C’est vrai pour beaucoup d’aspects de leur logique de gouvernance, et c’est vrai aussi pour la sécurité au travail. Ils sont plus vigilants, dans leurs indicateurs de tableau de bord, au « coût épargné » direct et indirect des accidents (gains d’assurance, gains de productivité, réputation).

    Ce style centré sur la prévention met l’accent sur la responsabilité et la prudence des managers et des employés, avec plus de « no go » dans les situations de travail, plus d’observance des règles et moins d’erreurs volontaires ou de violations (Crowe & Higgins, 1997: 120). Un employé dans cette logique se limitera à ce qu’il sait faire (ought self) en réalisant les seules tâches qui sont de son niveau et de sa responsabilité.

    Tous ces dirigeants acceptent bien sûr la logique des arbitrages constants entre sécurité, efficacité et introduction de nouveautés, mais ils sont plus attentifs aux conséquences de ces arbitrages pour la sécurité. Notamment, ils se préoccupent activement des conséquences de la décision sur la sécurité des employés et leur sensibilité aux risques psycho-sociaux, par exemple en limitant « au raisonnable » les heures supplémentaires ou en accordant des moyens additionnels pour imposer les obligations de sécurité dans ces contextes où l’arbitrage a dû se faire vers l’efficacité ou la nouveauté pour le bénéfice de l’entreprise. Beaucoup de ces stratégies se traduisent par des investissements sur les équipements, ce qui est considéré comme un prérequis de meilleure sécurité (Salas et al., 2020). Ils favorisent ainsi, par ces attitudes, l’installation d’un meilleur climat de sécurité organisationnelle (Tucker et al 2016).

    Sécurité du travail des dirigeants centrés sur les gains

    Les dirigeants plutôt centrés sur les « gains » soutiennent les recherches de gains, l’accomplissement de chacun, la croissance, avec la volonté d’un résultat toujours meilleur, en réduisant au maximum toutes les erreurs et la perte d’efficacité. Un employé dans cette logique s’engage dans un idéal de « plus et de croissance » pour lui et son entreprise (ideal self) (Johnson et al. ,2015).

    Ces mêmes dirigeants montrent aussi plus d’ambition et de persistance dans leurs stratégies. Ils sont plus orientés vers la croissance externe, les fusions-acquisitions (Gamache, McNamara, Mannor, & Johnson, 2015). Ces dirigeants aiment bien tester de nombreuses innovations organisationnelles pour les évaluer en continu en matière de gain de productivité, avec à terme un environnement de travail changeant, et une augmentation de l’intensité au travail et de la pression sur les managers. Cette logique agressive de croissance s’associe à un risque supérieur de burn-out chez les employés et plus globalement à un surrisque en santé au travail.

    Les questions de sécurité sont moins d’actualité dans les relations entre dirigeants et managers ; ceci se propage dans la relation entre manager et employés, et se lit même dans l’achat des équipements de sécurité ou de confort qui deviennent des priorités secondaires ; ce sont plutôt les questions de performance qui sont débattues dans les briefings. Les managers perçoivent aussi un net encouragement à travailler plus et à faire travailler plus, au-delà du temps de travail de base, pour une reconnaissance et un salaire accru même si le prix à payer pour beaucoup est le burn-out.

    En Californie par exemple, l’administration de la sécurité et de la santé au travail (OSHA) a lancé une inspection sur la très forte augmentation des accidents du travail chez Tesla (Ferris, 2018). L’analyse fait remonter la date de changement à un e-mail du PDG, Elon Musk, qui appelait à l’augmentation des objectifs de production et des normes de précision et qui s’est propagé en cascade dans la chaîne managériale avec une forte poussée de la productivité, hélas associée à un taux jamais vu auparavant d’accidents du travail (objet de l’inspection).

    Certains facteurs peuvent toutefois moduler le style des dirigeants : l’évaluation externe par les marchés et la concurrence

    Quel que soit le style des dirigeants, centré « gains » ou « prévention », les PDG « se sentent bien » et « confortés » (Johnson, Smith, Wallace, Hill, & Baron, 2015) lorsque les indices contextuels de performance économique et de sécurité s’alignent sur l’orientation de régulation choisie. Ils ont alors tendance à renforcer leur style.
    Par contre, le choix d’orientation de régulation est vite rediscuté en cas de désalignement.
    Le style personnel du manager peut être contrebalancé (Crowe & Higgins, 1997 ; Gamache et al., 2015 ; Neubert et al., 2008) par principalement deux facteurs externes : les recommandations des analystes et l’environnement industriel.

    L’évaluation/notation externe de l’entreprise par le marché

    Quand les analyses externes font des recommandations négatives ‒ surtout si elles sont associées à une dégradation des notes de l’entreprise ‒, on voit immédiatement un effet pondérateur sur la stratégie des dirigeants prudents. Ces dirigeants centrés sur la « prévention » abandonnent largement leur logique personnelle pour changer de cap au profit de leurs actionnaires (Gamache et al., 2020), et ils peuvent dans ce cas réduire sérieusement la priorité accordée à la sécurité du travail dans les arbitrages.

    Ces dégradations des notes économiques des entreprises représentent une très forte pression à changer de style de management (Gentry & Shen,2013), en sacrifiant en général le long terme pour un retour à la performance, à la réputation et à la confiance des actionnaires à court terme. Ces dirigeants centrés sur la « prévention » sont très sensibles à l’effet négatif de la baisse de note, encore plus qu’à l’effet d’absence de risque (Graham, Harvey & Rajgopal, 2005). Il s’en suit en général un impact social important avec des conséquences multiples.

    La situation exacerbée de concurrence dans le marché

    Inversement, les dirigeants centrés sur les « gains et la croissance » réagissent en exacerbant leur modèle quand ils sont placés dans un environnement très compétitif. Ils demandent encore plus d’efforts en interne, tout en réduisant les dépenses de sécurité jugées non prioritaires (Harris & Bromiley, 2007 ; Lant & Montgomery, 1987). Ces mêmes dirigeants peuvent aussi être freinés par l’absence de compétition externe.

    Un test à l’échelle de 500 entreprises

    Une vérification de l’influence des styles des dirigeants a été réalisée par une analyse rétrospective de la performance de 500 entreprises américaines. Il s’agit d’une analyse extensive des données disponibles sur ces 500 entreprises entre 2002 et 2011. L’analyse utilise les données publiées sur Google : les heures de travail et les taux d’accidents du travail et de santé au travail publiés, les notations par des analystes du marché et leurs variations dans le temps (particulièrement leur dégradation) et les évaluations financières rendues publiques, notamment tous les éléments décrivant les stratégies de fusion-acquisition, d’investissements internes et de gestion capitalistique.

    Cette (superbe, nda) analyse confirme parfaitement les données décrites précédemment dans la littérature et notamment les différences en termes de risque en santé au travail en fonction du style des dirigeants.
    Les stratégies centrées sur les « gains et la croissance » ont tendance à s’associer à de meilleurs résultats financiers, mais à une moins bonne sécurité au travail, par effets directs et indirects.
    Il en va de l’inverse avec les styles centrés sur la « prévention », qui s’associent à une meilleure sécurité du travail, mais à une productivité moindre qui les expose à des changements de cap brutaux, par pression externe sur le court terme, vers un modèle de gain lorsque les résultats de l’entreprise se dégradent.

    Dans le fond, on retiendra que ce sont ces styles prudents et centrés sur la « prévention » ou la sécurité qui sont les plus vulnérables dans le temps.