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The five pillars of occupational safety & health in a context of authoritarian socio-political climates

Auteur(s)
Waring A.
Numéro
2023 Décembre
DOI
10.1016/j.ssci.2019.04.008

Formats disponibles

    Résumé

    Waring, A. (2019). The five pillars of occupational safety & health in a context of authoritarian socio-political climates. Safety Science, 117, 152-163.

    Notre avis

    📖📖📖📖 Un article déjà ancien (2019), mais très éclairant sur le lien entre parti politique et sécurité. Cet article s’intéresse particulièrement à l’arrivée au pouvoir des « nouvelles droites » et les conséquences sur la transformation du champ de la santé-sécurité au travail. L’exemple le plus emblématique est celui de la récente mandature de Donald Trump aux États-Unis, mais les pays concernés y compris en Europe de l’Ouest (Royaume-Uni, Norvège, Pays-Bas…) sont de plus en plus nombreux. Un article à lire, bien écrit, très bien documenté, très instructif, qui peut nourrir l’analyse stratégique conduite par la Foncsi sur les « nouveaux champions de la sécurité ».

     

    Notre synthèse

    Les conditions de travail sont l’objet de recommandations et d’encadrement depuis le 19e siècle avec l’arrivée de la révolution industrielle. Quatre familles de considérations ont progressivement formé le fondement de cette sécurité du travail et de la santé des travailleurs (SST) :

    1. des considérations morales et humanitaires,
    2. juridiques et réglementaires,
    3. économiques, financières et spécifiques aux métiers
    4. et enfin de gestion des risques et d’implication directe de la gouvernance d’entreprise.

    Plus récemment, la SST a obtenu une reconnaissance supplémentaire en étant assimilée à un droit fondamental de l’Homme (déclaration du 19e Congrès mondial de l’OIT sur la sécurité et santé au travail de 2011 - AISS, 2011).

    Ensemble, les quatre domaines mentionnés ci-dessus, plus la notion de sécurité comme potentiel droit de l’Homme, forment ce qu’on a coutume d’appeler les « cinq piliers de la SST ».

    Pour autant, ces cinq piliers sont soumis aux défis des idéologies et des forces politiques. En particulier ces derniers temps, les politiques populistes des partis d’extrême droite et leurs dirigeants, (i.e. Donald Trump aux États-Unis), ainsi que leurs défenseurs et sympathisants (collectivement connus sous le nom de « Droite alternative » ou « Alt-Right ») s’engagent peu à l’égard de ces questions et des questions environnementales, et sont plus que réticents sur le 5e pilier qui voudrait voir la SST devenir un droit fondamental de l’Homme.

    Cet article analyse l’impact de ces « nouveaux » dirigeants sur les cinq piliers de la sécurité.

     

    Rappel historique de l’évolution des cinq piliers

    Premier pilier : considérations morales et humanitaires

    Le premier pilier concerne les considérations morales et humanitaires. Il a émergé au 19e siècle avec les scandales sur l’emploi et les conditions de travail insupportables, esclavagistes, inhumaines des enfants dans l’industrie anglaise, notamment dans l’exploitation des mines de charbon. Le cadre législatif s’est rapidement renforcé sur ces questions éthiques et morales ; ce qui a conduit les pays riches à imposer dès la fin du 19e un âge minimum pour le travail des enfants, puis plus récemment à décider de son interdiction totale. Par extension, et au nom du « devoir de vigilance », les industries de ces pays riches n’acceptent plus le travail des enfants à leur profit dans des travaux qui seraient sous-traités et externalisés dans des pays plus pauvres.

    Deuxième pilier : considérations juridiques et réglementaires

    Le deuxième pilier renvoie aux considérations légales et aux justifications réglementaires. En parallèle de l’interdiction du travail des enfants, les incitations de protection du travail plus générales ont d’abord été laissées à la décision des entreprises. Cette formule « au gré des entreprises » s’est rapidement révélée trop variable dans ses effets. L’État a dû intervenir dans ce contexte dès la fin du 19e par la promulgation des premières lois sur la SST au Royaume-Uni en exigeant des pratiques de contrôle et d’inspection par les agences de l’État, un renforcement de l’observance des règles légales de sécurité et l’adoption de directives pour des risques particuliers. Ces lois prescriptives sur la SST n’ont cessé d’être renforcées jusqu’au rapport Robens de 1972, au point de créer un effet mille-feuille qui a remis en question l’efficacité d’une politique trop prescriptive de l’État, et réintroduit l’importance de l’auto-régulation des entreprises, en insistant sur leur responsabilité sur le plan légal en cas de mauvais comportement, et en insistant sur la notion de politique SST étroitement concertée avec les syndicats et travailleurs. La loi de 1974 au Royaume-Uni, appelée HASAWA (Health and Safety at Work etc Act) reprend ces conclusions et est devenue un pivot central de l’approche sécurité au travail. Ce pilier a d’ailleurs largement conditionné les piliers suivants. Toutefois, il a également fait l’objet de critiques considérant que cette logique ouvrait la voie à une dérégulation excessive inscrite dans une logique ultra libérale, d’autant plus patente que le gouvernement Thatcher n’avait cessé d’affaiblir les syndicats. Cette logique réglementaire a pourtant été reprise sans grand changement par le gouvernement travailliste de Blair, et même étendue dans tous les gouvernements ultérieurs des années 2000. Le même principe de cadre réglementaire de l’auto-régulation de sécurité construite sur le partenariat et le dialogue avec tous les acteurs de l’entreprise, particulièrement les syndicats, a été adopté par de nombreux pays (Australie, Canada, Nouvelle Zélande) et dans une large mesure par l’ensemble des pays nordiques où le dialogue social fait partie intégrante des normes culturelles.

    Certains pays, au premier rang desquels les États-Unis, n’ont cependant pas repris ces idées d’auto-régulation de Robens. La loi américaine sur la santé et la sécurité au travail de 1970 (Occupational Safety Health Act - OSHA) était au contraire très prescriptive, avec un contrôle très strict de l’État sur la conformité réglementaire (inspections). Toutefois, et comme dans la logique précédente, la loi américaine a aussi donné un poids et une influence particulière aux syndicats et partenaires de travail pour imposer leurs vues et besoins aux management des entreprises, et éventuellement user de tous les recours légaux pour y arriver. Cette double composante de santé-sécurité au travail, à la fois plus autoritaire et avec une résolution plus juridique des différends, caractérise le système américain par rapport aux systèmes européens.

    Bien sûr, dans les deux systèmes, on retrouve l’exigence d’une preuve du déploiement par l’entreprise de mesures efficaces (cartographie des risques, politique de réduction des risques, politique de contrôle des pratiques de sécurité, plan de formation des employés, etc.), encadré par la mise en place de systèmes de pilotage plus globaux (SMS, systèmes de management de la sécurité), et aidé par les recherches sur les modèles de causalité plus systémiques et plus récemment celles sur la culture de sécurité.

    Troisième pilier : dimensions économiques et financières

    Le troisième pilier porte sur les dimensions économiques et financières de la santé au travail. Robens avait pointé le fait que les entreprises qui avaient investi correctement le champ de la SST étaient aussi celles qui étaient les plus performantes et les mieux gérées. Mais de fait, les chiffres anglais récents montrent que le coût des accidents du travail et des maladies professionnelles ou assimilées reste considérable en premier lieu pour les employés, puis pour les entreprises et l’État. L’auto-régulation et le dialogue social ont contribué à considérablement investir dans la prévention des risques au travail afin de réduire les accidents du travail et le risque financier associé. Les chiffres d’accidents ont particulièrement chuté dans les années 1970 et continué à s’améliorer jusqu’aux années 1990. Mais au début des années 2000, un mouvement contraire s’est installé, particulièrement dans les PME aussi bien américaines qu’européennes qui ont commencé à juger que l’investissement dans toujours plus de progrès pour la réduction des accidents et une meilleure santé au travail finissait par avoir un coût supérieur aux bénéfices espérés. La critique s’est intensifiée sur le coût d’une surrégulation coûteuse dont l’effet est réduit. Cette position plus prudente a fait ajouter dans le calcul officiel d’investissement des entreprises sur la prévention SST une pondération en introduisant une dimension jusque-là absente : celle de l’impact sur le business (y compris sur l’image, si on n’investit pas assez et que les accidents augmentent) et in fine sur la productivité. Cette composante « business » inclut les aspects légaux, les aspects purement comptables de calcul de retour sur investissements et des aspects stratégiques en termes de compétitivité et d’image. Évidemment, cette dimension a ouvert de nombreuses polémiques dès qu’elle est devenue un outil de réglage de la santé et sécurité au travail susceptible de brider les investissements. Toutefois, ces polémiques ont été plus fortes dans les pays européens qu’aux États-Unis où ce facteur d’arbitrage a été « accepté » plus facilement. Certains économistes ultra radicaux américains, relevant de l’ultradroite ont dès les années 2000 (avec Georges Reichman comme leader emblématique) plaidé que la politique santé-sécurité imposée par l’État était un frein à la libéralisation du marché et une injure au bon sens des chefs d’entreprise à gérer les questions de santé au travail. Ces positions extrêmes ont trouvé un écho indéniable, mais plus silencieux chez un grand nombre de dirigeants américains, et se retrouvaient nettement dans le discours du président Trump, avec la même logique appliquée aux réglementations sur la transition climatique et de nombreux règlements de santé-sécurité.
    Côté anglais, les mêmes tentations existent à considérer que l’arbitrage final SST doit se limiter à ce qui est nécessaire et raisonnablement réaliste (« So far as is reasonably practicable? ») tout en donnant un poids bien plus grand qu’aux États-Unis à la prise en compte du risque légal et du préjudice d’image à ne pas en faire assez. Le principe est donc le même des deux côtés de l’Atlantique, refusant l’idée d’un investissement santé-sécurité « sans limites », mais avec un poids différent mis sur les variables considérées dans le calcul de l’arbitrage.

    Quatrième pilier : gestion des risques et implication directe de la gouvernance d’entreprise

    Le quatrième pilier concerne la gestion des risques et l’implication et responsabilité de la gouvernance. L’anticipation et la gestion des risques qui peuvent menacer une entreprise restent une prérogative de la gouvernance. Mais est-ce que les risques santé-sécurité peuvent menacer l’entreprise et doivent donc faire partie des risques à gérer par la gouvernance ? Ce débat reste ouvert et souvent traité comme une affaire de culture nationale, avec une réponse franchement positive pour certains pays (Australie) et plus contestée pour d’autres (États-Unis).

    Cinquième pilier : droit fondamental de l’Homme

    Le cinquième pilier concerne la charte des droits de l’Homme au sens général, recouvrant tous les abus de conditions d’emplois, d’inégalités, d’ostracisme, de racisme et autres. Cette vision générale a vu grandir progressivement au début des années 2000 un débat sur l’incorporation à ces droits fondamentaux du simple droit de travailler dans un environnement sûr. La conséquence de l’inclusion de ce droit dans la charte générale est d’abord juridique, ouvrant une fenêtre de vulnérabilité pour la gouvernance des entreprises en l’impliquant plus directement dans tout manquement.

     

    Arrivée de la nouvelle droite alternative

    En quoi l’arrivée de la nouvelle droite alternative dans les démocraties, symbolisée par la mandature de Donald Trump aux États-Unis, change ou module les cinq piliers ?

    Ces nouveaux dirigeants des droites alternatives sont clairement plus autoritaires, soutenant à la fois un respect réglementaire et l’autonomie individuelle. Ces nouvelles droites encouragent un retour à l’adhésion à des valeurs culturelles historiques, abondent dans le sens de la responsabilité individuelle, du libéralisme économique, de la libre entreprise, des réductions d’impôts, de la propriété et de la réussite individuelle (en étant plutôt contre tout collectivisme). Ces droites accèdent souvent au pouvoir par un effet conjoncturel de vote pour des mouvements populistes de citoyens insatisfaits et frustrés de leur sort, disparates dans leur véritable pensée politique. Il s’agit plus d’un assemblage contextuel que de véritables philosophie et organisation communes. Toutefois, ces groupes partagent volontiers l’idée d’un besoin de plus de nationalisme, de plus de protection des avantages acquis pour les anciens habitants, incluant la protection de leur statut privilégié sur les nouveaux habitants, quitte à renforcer les clivages actuels de la société et à creuser les inégalités. Ils soutiennent aussi l’idée d’une chance et d’une autonomie à donner à chacun, au risque d’avoir des perdants et des gagnants. Cette posture peut aller très loin, jusqu’à remettre en cause les données scientifiques quand elles sont des obstacles à l’accomplissement des citoyens et des projets entrepreneuriaux individuels.

    Quels effets sur les cinq piliers de santé-sécurité au travail ?

    On pourrait penser que les acquis sur ces cinq piliers SST sont définitifs, car de bon sens pour les citoyens et travailleurs y compris de l’ultra droite, mais ce n’est probablement pas vrai. Le simple fait de soutenir le besoin d’un moindre État et d’une simplification des exigences de ce dernier change le réglage des arbitrages quotidiens à faire sur plusieurs piliers de santé-sécurité. Trump a été un exemple de manipulation jouant sur une contradiction apparente : d’une part, plaider pour que tous (citoyens entrepreneurs) deviennent les gagnants du libéralisme, avec un gain pour toute la société en matière d’emploi et de richesse ; et d’autre part, expliquer sans cesse que les échecs ne sont pas liés aux défauts de l’idéologie libérale, mais à une résistance des élites, experts, scientifiques qui s’opposent à ce libéralisme. L’économie globale et l’ubérisation du travail font intégralement partie de ce modèle ultralibéral avec une protection collective minime, l’obligation de chacun d’assumer les risques de son travail comme prix à payer pour réussir et être autonome. Le modèle Trump sera probablement très inspirant pour tous les partis similaires qui accèdent actuellement aux commandes des États européens.

    Globalement, certains piliers de santé-sécurité au travail ne seront pas remis en cause par l’arrivée de ces nouveaux partis au pouvoir. Le premier sur le travail des enfants ne sera pas revu… mais tous les autres (2, 3 et 4) se sont déjà vus amendés dans la façon de poser et calculer les arbitrages des programmes de santé-sécurité au travail aux États-Unis ; et clairement le cinquième pilier n’est plus du tout d’actualité pour ces partis (incorporer la santé-sécurité au travail comme droit fondamental de l’Homme).

    Il s'agit, en quelque sorte d’un modèle autoritaire prescriptif, mais qui au final confie cette autorité et une large partie du réglage final aux entreprises plutôt qu’à l’État pour les investissements sur la santé-sécurité, en en faisant un objet ajustable selon le contexte, la réussite économique et les prérogatives culturelles locales, tout en donnant moins de poids et de crédibilité aux démonstrations scientifiques.