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The Foundations of Safety Science

Auteur(s)
Le Coze, J. C., Pettersen, K. & Reiman, T.
Numéro
2023 Octobre
DOI
10.1016/j.ssci.2014.03.002

Formats disponibles

Résumé

Le Coze, J. C., Pettersen, K., & Reiman, T. (2014). The Foundations of Safety Science. Safety Science67, 1-69.
https://www.sciencedirect.com/journal/safety-science/vol/67/
 

 

Notre avis

📖📖📖 Ce mois-ci un long éditorial déjà ancien de la revue Safety Science co-écrit par des auteurs européens, français, norvégien et finlandais, sur les fondations de la science de la sécurité. Intéressant comme document de fond sur l’évolution des idées en la matière.

 

Notre synthèse

La science de la sécurité s’est imposée historiquement pour répondre à la complexité, la dangerosité potentielle et l’ambition des technologies modernes, comme le nucléaire. Elle s’est très rapidement révélée être multi-facette, faisant appel à plusieurs disciplines, plus ou moins articulées entre elles. Les travaux ont été plus qu’abondants dans chacune de ces disciplines, mais avec un manque avéré de vision intégrative et globale.

Cet éditorial fait un point sur les questions posées par cette « science de la sécurité », et les progrès qu’il reste à réaliser pour en faire un objet plus efficace.

Une fragmentation des apports scientifiques

La variété des points de vue est au centre des approches de sécurité. Elle reflète la variété des disciplines concernées, sociologie, sciences politiques, sciences de l’ingénieur - notamment l’étude de la fiabilité humaine et technique -, médecine, etc.
Mais cette variété n’est pas qu’une affaire de disciplines et de formations dédiées. Elle est aussi un objet de négociation sociale permanente entre les différents groupes de personnes impliquées : responsables, État, industries, territoires, techniciens, riverains et citoyens au sens large, qui détiennent chacun une part de contrôle sur les moyens à mettre en jeu pour obtenir les résultats désirés. Ces négociations se traduisent par des conséquences quasi normatives (normes et recommandations pour la conception des matériels, interfaces, obligation d’un retour d’expérience, protections et conditions de travail des opérateurs, etc.). Elles s’inscrivent, découpent - et souvent enferment la science - dans un espace de traditions de recherche bien balisées pour l’amélioration de la sécurité.
Les accidents et les innovations sont les deux moments forts où ces négociations prennent de l’importance et recalent le système de sécurité sur de nouvelles bases.
Cette fragmentation de l’approche sécurité fait que la notion même de « chercheur dans le domaine de la sécurité » reste définitivement floue dans ce qu’elle recouvre. Elle ne recouvre pas plus des appellations académiques, que des noms de laboratoire qui préfèrent souvent s’identifier avec les standards de leur propre discipline.

On peut quand même voir les avantages potentiels à la fragmentation. Le fait que la sécurité relève de plusieurs points de vue légitimes mais différents et décalés, y compris dans ses objectifs, n’est sans doute qu’un reflet nécessaire et logique pour aborder la complexité de la matière à traiter.
Donner la main à une seule discipline pour devenir LA discipline de référence sur la sécurité serait donc un risque et sans doute une erreur. Il faut plutôt accepter l’idée de plusieurs sciences de la sécurité.

Comme dans les sciences du vivant, on peut décrire le processus naturel à différents niveaux fractals de finesse (c’est-à-dire de la cellule à la biologie jusqu’à la personne globale), chaque niveau expliquant une partie de la complexité de la vie et de son évolution, et portant ses propres théories, ses propres méthodes et ses propres solutions d’améliorations, parfois contradictoires d’un niveau à l’autre avec un besoin évident de recherche de compromis.

Au-delà de la diversité des approches, quels fondements à une science de la sécurité

Les chercheurs engagés dans des études sur la sécurité se répartissent souvent en deux groupes bien distincts.
Le premier groupe souligne le caractère pratique et appliqué de leur recherche (anything goes as long as it works in practice), le second souligne plutôt le côté théorique et rigoureux de leur approche (nothing goes, even if it works in practice).
Derrière cette dichotomie, se placent des débats sur la validation/validité des résultats (validité locale versus validité conceptuelle établie sur d’autres critères normatifs), sur ce qu’attend une société confrontée aux risques et ce qu’attendent les scientifiques d’une théorie sur les risques ; et in fine sur qui paient ces différents types de recherches (les industriels et parties prenantes sur le terrain versus les institutions traditionnelles de recherche).
Dans bien des cas, ces questions de validité sont mises à mal avec les théories sur la sécurité. Les théories et nouveaux concepts sont souvent introduits sans prendre le temps nécessaire à l’explicitation complète de leur base méthodologique et philosophie sous-jacente.
Du coup, elles sont rarement falsifiables au sens de Popper, et vivent en parallèle, sans effacer les précédentes, simplement en s’accumulant dans la connaissance.

Le plus grand risque de ce défaut de validité reste l’adoption « à la carte » de morceaux de chaque théorie par les managers au grès de ce qu’ils pensent facilement pouvoir s’appliquer à leur terrain. Le résultat est encore pire en matière de manque de validité par une telle approche « patchwork » ainsi pratiquée.

Que pensent les chercheurs de cette validité insuffisante ?

Les questions précédentes sont sérieuses. Mais est-ce qu’elles inquiètent pour autant les chercheurs ? Les auteurs pensent plutôt que l’agenda de recherche de chacun et les mécanismes de financements par silo finissent par marginaliser l’adresse sérieuse de ces problèmes fondamentaux. On en parle souvent dans les congrès, et les chercheurs reconnaissent volontiers la nécessité de s’interroger sur ces questions… Mais ils le font peu au retour dans leur laboratoire, car le travail à conduire est par définition transdisciplinaire, plus difficile à financer, sans parler qu’il nécessite d’accepter la critique sur le fond de ses propres théories.

Comment améliorer ce paysage complexe de la recherche en sécurité ?

Que recommander aux scientifiques du domaine ? Les auteurs suggèrent plusieurs pistes :

Les contributions devraient rester ciblées, disciplinaires et sans chercher à couvrir une liste exhaustive des problèmes. Pour autant, elles pourraient tenter de répondre à des questions génériques comme « comment tirer des leçons des incidents passés et accidents, afin de projeter des prédictions utiles dans le futur ? » Cet exemple de question renvoie aussi au débat central sur les approches inductives versus déductives et sur la généralisation des résultats. Il est logiquement impossible de justifier des prédictions généralisées à travers l’observation de cas précis. Seul le raisonnement déductif peur le faire. Mais du coup, la façon dont ces fondements logiques sont appliqués dans la science de la sécurité et leurs implications tant en théorie qu’en pratique devient une question clé.

Une seconde question à traiter concerne la tension entre une vision réductionniste et une posture émergente de la sécurité. La vision émergente de la sécurité tend à s’imposer mais n’est pas sans poser question théorique et pratique dans la possibilité de généralisation des résultats. Hollnagel (2014) va d’ailleurs encore plus loin dans ce concept d’émergence en se demandant si la sécurité elle-même est un sujet approprié d’investigation scientifique. Cette idée est reprise sous d’autres formes par Dekker par exemple (2014), qui souligne le manque de considération pour des questions plus importantes, mais ignorées, comme les logiques de pouvoir dans ces questions de sécurité (et donc d’arbitrage). Enfin Almklov et al. (2014) soutient une autre critique récurrente en pointant que les grandes théories produites par les scientifiques de la sécurité peuvent souvent déplacer, relativiser ou marginaliser les connaissances de sécurité spécifiques relatives au système ; ce qui peut en retour être une perte plus qu’un gain.

En conclusion, les auteurs soulignent la complexité de l’approche qui se cache derrière cette « fausse bonne » idée d’une science de la sécurité. Il s’agit définitivement d’une approche mosaïque plus que d’un champ unique.
Pour autant, quelques questions très importantes ne sont jamais traitées correctement par aucun courant, par exemple la validité ou encore la question de l’arbitrage et du pouvoir. Ces manques génèrent des comportements de terrain largement inadaptés, assemblant et mêlant un mélange d’idées souvent contradictoires venant de champs théoriques totalement différents, une attitude qui nuit sérieusement en retour à la valeur scientifique globale accordée aux approches de sécurité en rapport des autres domaines scientifiques et technologiques de l’industrie.