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Paradoxes of power: Dialogue as a regulatory strategy in the Norwegian oil and gas industry

Auteur(s)
Forseth, U. & Rosness, R.
Numéro
2021 Avril
Centre d'intérêt
Controleur-Controle

Formats disponibles

    Résumé

    Forseth, U. & Rosness, R., Paradoxes of power: Dialogue as a regulatory strategy in the Norwegian oil and gas industry, Safety Science, Volume 139, 2021, 105120 doi: 10.1016/j.ssci.2020.105120

     

    Notre avis

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    Notre synthèse

    Cet article explore la façon dont l’Autorité norvégienne de sécurité pétrolière (Petroleum Safety Authority Norway, PSA) a organisé un dialogue avec les compagnies placées sous sa juridiction sur une période de dix ans (2009 à 2019), en complément d’une vision classique prescriptive et de contrôle. Le régime de réglementation de l’industrie pétrolière norvégienne a retenu l’attention internationale précisément en raison de ses caractéristiques et de l’utilisation extensive du dialogue comme instrument politique plutôt qu’un usage systématique de sanctions en cas de violation. Évidemment, le dialogue n’est pas le seul instrument politique de régulation, et le régulateur peut exercer son pouvoir et intensifier les sanctions lorsque jugé nécessaire.

    Le dialogue comme outil de contrôle, un savoir-faire du PSA Norvégien qui a ses limites

    Le dialogue en tant qu’instrument politique au sein d’un régime de réglementation est un concept ambigu et il n’existe pas de définition unique de ce terme. Il y a également un manque de recherche sur les facteurs (organisationnels, culturels, politiques) qui permettent à un régime réglementaire qui repose fortement sur le dialogue plutôt que sur les sanctions d’exercer une influence suffisante pour atteindre ses objectifs.
    C’est tout l’intérêt de ce travail du PSA Norvégien qui semble obtenir par cet outil des résultats tout à fait significatifs sur l’industrie (Engen, 2013). Cet article essaie de comprendre pourquoi mais aussi les limites de cet art, notamment avec avantage de conditions changeantes telles que la récession et la réduction des coûts dans l’industrie, la pression pour harmoniser les règles et les normes, et l’afflux de nouveaux (petits) acteurs.

    Background théorique sur la régulation par le dialogue négocié dans les activités de contrôle : perspectives sur le pouvoir

    L’utilisation du terme « pouvoir » dans le langage courant est bien saisie par Robert Dahl (1957, p. 203) : « A a le pouvoir sur B dans la mesure où il peut amener B à faire quelque chose que B ne ferait pas autrement ». Les auteurs utilisent toutefois une conception plus large du pouvoir englobant quatre différentes perspectives :

    • Le pouvoir par l’imposition du calendrier d’action. Un régulateur peut, par exemple, imposer un délai strict afin de transmettre un sentiment d’urgence et d’importance et laisser un temps limité pour mobiliser des contre-arguments.
    • Le pouvoir comme ressource. Le régulateur peut imposer une action à faire au contrôlé en la conditionnant à des sanctions ou à une limitation d’autorisation indispensable au business model du contrôlé.  
    • Le pouvoir dans la collaboration et les réseaux. Cette perspective étend la précédente en conceptualisant comment contrôleurs et contrôlés peuvent convenir d’objectifs communs et créer des alliances profitables aux deux parties, contrôleurs et contrôlés. Par exemple, un organisme de réglementation peut coopérer et animer un réseau win-win avec l’industrie réglementée en jouant sur la réputation de cette industrie par l’amélioration de ses conditions HSE.
    • Le pouvoir des symboles et du discours. Dans cette perspective, le pouvoir n’est pas avant tout quelque chose de détenu par des acteurs spécifiques (Foucault, 1969, 1970). Le pouvoir réside plutôt dans le discours, c’est-à-dire dans notre utilisation du langage et des symboles. Dans un domaine de discours donné, certaines déclarations semblent significatives et tenues pour acquises, tandis que d’autres semblent sans signification ou sans importance. Le pouvoir peut être caché dans des choses tacitement supposées plutôt qu’affichées dans ce qui est énoncé explicitement.

    L’usage quotidien du terme « pouvoir » correspond à peu près aux deux premières visions du pouvoir. Elles réfèrent toutes les deux aux termes « coercition » ou « pouvoir coercitif ».
    Les deux derniers types de pouvoir relèvent plutôt du terme pouvoir « influence », même si on peut aussi ranger les deux premières dans ce cadre.

    Les théories sur la régulation et le pouvoir

    Plusieurs champs théoriques éclairent ces relations contrôleurs-contrôlés.
    La régulation peut prendre la forme du contrôle-commande, le régulateur va définir le référentiel acceptable, mener des inspections ou des audits et émettre des sanctions formelles en cas de non-conformité.
    Dans cette approche, le régulateur applique la force de la loi pour interdire certains comportements industriels, exiger des actions positives ou poser des conditions pour l’autorisation de l’activité.
    Inversement, dans l’autorégulation, le gouvernement supervise les activités menées par les entreprises, pour s’assurer que les entreprises exécutent en confiance et volontairement une mise en conformité avec les normes industrielles et favorisent l’amélioration continue de ces normes dans la communauté industrielle (Baram, 2004) qui peuvent appliquer en retour la force de la loi pour faire respecter l’autorégulation.
    Dans cet esprit, Ayres et Braithwaite (1992) préconisent une réglementation réactive, et progressive, que les auteurs qualifient d’« approche du tac au tac » (en anglais tip-for-tap). Le régulateur répond à chaque non-conformité, mais au début la réponse est douce, persuasive, par le dialogue sans menace de sanction ; puis elle se durcit progressivement si la non-conformité persiste. De cette manière, le régulateur évite le jeu de l’inflation réglementaire, où les firmes défient l’esprit de la loi en explorant des échappatoires, et l’État rédige de plus en plus de règles spécifiques pour couvrir ces échappatoires. Ces mêmes auteurs proposent aussi l’adoption systématique du tripartisme, avec la participation des groupes d’intérêt public au processus de réglementation pour servir de contre-mesure efficace contre le risque de collusion entre contrôleur et contrôlés.
    Pour que l’approche « tac au tac » réussisse, il faut tout de même respecter un certain nombre de conditions préalables. Il doit y avoir :

    1. Des interactions répétées suffisamment fréquentes entre contrôleur et contrôlé pour permettre une escalade des réactions si cela est nécessaire.
    2. Le régulateur doit disposer de suffisamment de ressources judiciaires, publiques, commerciales et un soutien politique pour pouvoir intensifier leurs réactions si nécessaire.
    3. Le régulateur doit également être en mesure d’obtenir les informations nécessaires pour juger du besoin d’intensifier la réponse.

    Il existe aussi toute une littérature pour mémoriser et analyser le contenu des conversations réglementaires y compris officieuses, c’est-à-dire « les interactions communicatives qui se produisent entre tous ceux qui sont impliqués dans ‟l’espace réglementaire” entre contrôleurs et contrôlés dans le cadre des dialogues négociés » (Black, 2002). On parle même de capacité à dresser à partir de ces analyses « un portrait » du contrôlé, une sorte de typologie en fonction de ce qui se dit dans ces échanges. À un niveau profond, on code ainsi le niveau de communauté d’interprétation, la compréhension et l’engagement envers les objectifs et les valeurs du système de réglementation, le sens partagé de la manière dont les conflits, les incohérences et les compromis peuvent être adressées.

    Les théories sur la création de sens dans les récits

    C’est un autre pan théorique qui fournit de précieux éléments complémentaires pour éclairer la conduite du dialogue.
    Weick a introduit la notion de « création de sens organisationnel ». On connaît du même auteur le « sensemaking » individuel, les processus par lesquels les gens cherchent à comprendre et à donner du sens à « des situations ou des événements ambigus, équivoques, déroutants ». C’est une extension de ce sensemaking a l’organisation dont on parle ici.  Les organisations ont des « identités », des sortes de valeurs, des marqueurs qui diffèrent des identités des individus qui les composent. Les questions cruciales derrière ces questions d’identité organisationnelles sont : qui sommes-nous ? comment fait-on les choses ici ?
    Les réponses sont colorées par l’histoire de l’organisation. Il y a un nombre limité de travaux sur la création de sens institutionnelle. L’article s’intéresse aux processus de création de sens qui prennent place dans le contexte du dialogue. La notion de la construction identitaire et l’idée d’exercer un pouvoir sur la création de sens d’autrui peuvent être appliquées aux interactions entre organisations, et notamment au dialogue entre régulateur et régulés.
    Gioia et Chittipeddi ont introduit la notion de « processus d’influence sur la création de sens chez les autres », en la faisant évoluer vers une définition préférée/souhaitée de réalité organisationnelle (Gioia et Chittipeddi, 1991, p. 442). L’analyse de récits/histoires sur la gestion de situations industrielles difficiles où la réglementation est problématique peut être une entrée utile pour un processus de création de sens commun et peuvent aussi servir d’introduction à des discours sociaux plus larges sur la culture de l’entreprise.

    Au final, quelles leçons tirer du modèle de l’autorité Norvégienne ?

    L’autorité norvégienne du pétrole date des années 1970, en notant qu’elle s’est installée de concert avec l’industrie sur ce secteur pétrolier. Elle utilise beaucoup le dialogue dans la régulation, avec une posture privilégiant d’abord l’autorégulation et l’accompagnement pour l’industrie (soft regulation), avant d’envisager des sanctions en dernier recours (hard regulation). Une opposition appelée en anglais « guide dog vs watch dog ».
    Au-delà de cette position de principe, l’analyse des auteurs montre toute la difficulté à partager la connaissance de récits d’écarts officiels – ou officieux – à la réglementation avec une attitude tolérante, en tout cas compréhensive de la part du régulateur. C’est forcément une limite à l’exercice. Les récits se manipulent aussi par les entreprises de façon à communiquer positivement avec le régulateur, et c’est un risque (donner l’impression d’être bon élève en distordant la réalité).


    Des prises de risques récurrentes des entreprises notamment dans le forage, sous pression temporelle, ont irrité le régulateur mais ont quand même abouti, grâce à la philosophie générale du contrôle du PSA à des solutions de co-gestion entre régulateur et contrôlés, notamment dans les processus de décision de forage qui sont assez novatrices et porteuses de sécurité.  
    Au total, le dialogue contrôleur-contrôlé, même s’il est très productif, assurément plus qu’ailleurs dans le monde, reste quand même ritualisé, restreint et asymétrique. Beaucoup d’entreprises voudraient encore plus d’informel et moins d’asymétrie, ce qui permettrait sans doute plus de qualité et de co-construction du sens dans la co-gestion des risques.