The sounds of safety silence
- Noort, M. C., Reader, T. W. & Gillespie, A.
- Numéro
- 2021 Septembre
- Centre d'intérêt
- Les Facteurs Humains Et Organisationnels De La Securite
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Résumé
Noort, M. C., Reader, T. W. & Gillespie, A. (2021). The sounds of safety silence: Interventions and temporal patterns unmute unique safety voice content in speech, Safety Science, 140, 105289. Doi: https://doi.org/10.1016/j.ssci.2021.105289.
Notre avis
📖📖📖 Un article sur le combat du « silence dans la sécurité » (safety silence) : l’acte de ne pas partager ses préoccupations de sécurité au travail. Un sujet important, avec ici, des recommandations simples mais qui sont loin d’être reprises dans toutes les industries.
Notre synthèse
Ne pas partager à voix haute ses inquiétudes au travail est une cause récurrente de beaucoup d’accidents (par exemple dans l’aérien, Bienefeld et Grote, 2012 ; Cocklin, 2004 ; Moorhead et al., 1991 ; Tarnow, 1999), le forage pétrolier offshore (Reader et O'Connor, 2014), ou la santé (Bromiley et Mitchell, 2009 ; Francis, 2013).
On sait que certaines interventions peuvent être efficaces (Noort et al., 2019a), par exemple en améliorant la saillance des aléas/problèmes à signaler (Tucker et al., 2008), en jouant sur la responsabilité individuelle (Duan et al., 2017) ou encore en améliorant l’inclusivité et l’information de la chaîne hiérarchique (Barzallo Salazar et al., 2014 ; Burris, 2012).
Mais pour autant la relation entre signaler des risques à voix haute par l’opérateur de première ligne, réduire le silence organisationnel de toute la chaîne hiérarchique et éviter les accidents est loin d’être simple. On constate dans la réalité tout un gradient de type de réponse avec des variations à la fois sur le contenu informationnel (Jones et Kelly, 2014 ; Noort et al., 2019b) et sur les différents types de voix (explicite, respectueuse, impérative… ; Krenz et al., 2019 ; Pian Smith et al., 2009), sans trop savoir ce qui serait idéal.
Bref, on sait peu de choses claires et scientifiques (sous une forme de modèle à enseigner dans l’industrie), sur la façon dont on doit apprendre aux opérateurs à parler (sur quoi, à quel moment, comment) et quelle organisation doit exister en arrière pour que la parole produite ait un effet…
Petite revue de littérature sur comment conceptualiser les variations de prises de parole de sécurité
Le « silence de sécurité » (sic, traduction littérale) est l’acte de ne pas verbaliser les préoccupations de sécurité lors de situations dangereuses. C’est l’inverse de la « voix de la sécurité » : l’action de soulever des problèmes de sécurité par le biais d’expressions verbales (Conchie et al., 2012 ; Tucker et al., 2008).
Ces concepts sont parties intégrantes de la sécurité organisationnelle (Griffin et Neal, 2000 ; Hofmann et al., 2003), de la culture de sécurité et du climat de sécurité (Reader et al., 2015 ; Zohar, 2010) et du leadership en sécurité (Barling et al., 2002). Ils sont proches d’autres concepts souvent cités pour parler des antécédents du silence de sécurité : dénonciation, dissidence ascendante, voix des employés, lutte contre le silence organisationnel (Kassing, 2002 ; Morrison, 2014 ; Near et Miceli, 1985), sécurité psychologique (Edmondson 1999).
Le silence de sécurité est différent des autres comportements de sécurité comme « se laver les mains » ou « suivre des check-lists » parce qu’il implique une rétention volontaire d’information sur le danger. De plus, il s’étend aux non-employés (par exemple : les patients, les témoins externes ou les passagers).
Parler à voix haute augmente l’attention portée à la sécurité (Kines et al., 2010), permet de partager ses propres observations et de rendre leurs préoccupations exploitables (Barton et Sutcliffe, 2009), et plus encore corriger et dissuader les actions nuisibles (Palmer, 2016 ; Schwartz et Gottlieb, 1976 ; Sexton et Helmreich, 2003) tout en permettant l’apprentissage (Edmondson, 2003).
Les différences individuelles expliquent une partie des comportements (Carver et White, 1994, Tucker et al., 2008).
On a souvent un mélange de volonté de parler et de timidité dans ce que l’on va dire, en ne soulevant finalement qu’une partie du problème (Jones et Kelly, 2014).
Les opérateurs font souvent simplement allusion à des préoccupations (Fischer et Orasanu, 2000 ; Orasanu et Fischer, 1992) ou disent quelque chose sans le relier à un risque précis. Ce comportement est appelé « voix de sécurité en sourdine ».
Dans bien des cas, ces personnes parlent effectivement sur la situation, mais d’une façon peu compréhensible et informative pour les autres opérateurs et pour la chaîne hiérarchique.
L’expression se limite aussi souvent à l’alerte générique (par exemple : « faites attention », « arrêtez de faire ça ») sans contenu précis sur la raison associée à ce message ; et dans ce cas, le message perd considérablement de sa portée (Brinsfield, 2013 ; van Dyne et al., 2003).
Le niveau d’expertise métier joue aussi un grand rôle dans la force de ce qui est dit, mais parfois dans le mauvais sens, avec l’impression que le risque identifié reste maîtrisé parce que le sujet se sent expert, et donc refreine sa prise de parole (Slovic, 1987).
Dans ce constat général de manque d’apport concret sur les bonnes pratiques à acquérir, une exception mérite d’être notée : les travaux de l’aéronautique sur le travail en équipage.
Les copilotes sont formés à fournir des indices, à signaler les anomalies de tous ordres, et interroger leurs capitaines quand ils sont en désaccord (Fischer et Orassanu, 2000 ; Sassen, 2005). Pour autant, et même si cette littérature est utile, elle reste largement contingentée à cette situation très particulière d’équipages hautement qualifiés et présélectionnés, sans enseignements notables et généralisables sur les aspects liés à des équipes plus grandes, plus hétérogènes en métiers, personnalités et compétences- sans parler des non professionnels, patients, passagers, citoyens de proximité- autant de situations qui sont le standard du reste de l’industrie.
L’étude complémentaire proposée dans l’article
Les auteurs examinent quels sont les facteurs qui orientent les opérateurs à pratiquer une parole audible et claire sur la sécurité, ou à rester dans une « voix de sourdine » avec toutes les variations que cette idée peut prendre. Pire, les opérateurs peuvent rester dans un silence de sécurité. Quelles sont les implications pour les solutions et formations à proposer ?
L’expérience se déroule dans un environnement de laboratoire avec la participation de 404 étudiants anglais, de niveau intermédiaire ou supérieur, de toutes disciplines. Ils doivent gérer une situation collective, et travailler avec ou sans consignes de verbalisation, ni assistance externe, pour exécuter une tâche à risque : traverser sur une planche entre deux chaises avec des conditions de poids limite, et des risques modulables. Il y a huit conditions au total.
Cinq constats et recommandations pratiques
- Les opérateurs peuvent être formés à mieux reconnaître quand des membres de leur équipe/entourage ont des problèmes de sécurité.
Dans ce cadre, les programmes de formation à la communication de sécurité dans le travail en équipe, développés dans l’aéronautique au départ, sont maintenant bien rodés, protocolés et disponibles à l’emploi pour toutes les industries (par exemple, les Crew-Resource Management - CRM, ou le programme STEPPS, Kanki et al., 2019 ; King et al., 2008). Ils mettent l’accent sur les styles de communication (par exemple : l’affirmation de soi) et la collaboration sur la sécurité (par exemple : modèles mentaux partagés, adaptabilité, gestion des erreurs ; Helmreich et al., 1999). Côté manques, la plupart ne donnent pas de détails sur le niveau de langue à adopter dans la verbalisation (Leonard et al., 2004) et l’écoute et la sensibilité à des discours de sourdine que peuvent utiliser les autres membres de l’équipe. D’autres proposent des dictionnaires sur les formes verbales d’alerte, et des formations pour les praticiens expérimentés à mieux identifier le contenu masqué ou en sourdine de leurs collègues.
- Les cadres, particulièrement de proximité, peuvent/doivent entraîner leur personnel à une meilleure alerte en introduisant, à titre de formation, des erreurs contrôlées pour voir quand et comment elles sont soulevées par le personnel.
Par exemple, dans le domaine médical, un cadre va commettre une erreur délibérée, mais contrôlée, dans le lavage des mains et voir dans quelle mesure, quand et comment les collègues subalternes vont s’engager dans le signalement. On pourra recenser toutes les réponses sous une forme de dictionnaire vocal de réaction de sécurité, et travailler en groupe sur son amélioration.
- La simulation est un outil précieux de formation à cette parole de sécurité.
Les simulations et leur débriefing peuvent sensibiliser les participants (Kolbe et al., 2015). Le scénario simulé peut être particulièrement pertinent pour une prise de conscience en réécoutant en groupe l’étendue des variations de ces prises de parole sur la sécurité (force, contenu, pertinence, compréhension – ou incompréhension - dans les réactions du groupe), et quels seraient les modèles à retenir pour une pratique plus efficace.
- L’étude propose un certain nombre de marqueurs des expressions verbales qui sont les plus efficaces pour obtenir le résultat visé d’alerte collective (force de conviction, manière de l’exprimer, contenu).
- Un logiciel de reconnaissance vocale peut être développé dans des situations de simulation en auto-apprentissage pour capturer et analyser la parole enregistrée en direct. Le logiciel est doté d’une capacité contrainte programmée de compréhension qui impose progressivement un standard, de façon à auto-entraîner les opérateurs à verbaliser sous une forme optimale.