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Dynamiques d’apprentissage dans les systèmes industriels en réseau

Équipe

  • Stéphanie Tillement (doctorante Université de Grenoble)
  • Thomas Reverdy (laboratoire PACTE, Université de Grenoble)
  • Céline Cholez (laboratoire PACTE, Université de Grenoble)

Contexte et enjeux

La production et la circulation des savoirs sont au coeur des stratégies des entreprises depuis une quinzaine d’année. Les nouveaux modèles productifs (Veltz, Zarifian, 1993) reposeraient davantage sur la recherche, non plus de la «bonne» organisation (planifiée d’en haut et définie une fois pour toute), mais d’une organisation capable de s’interroger sur ses pratiques, d’apprendre de ses erreurs et de se corriger. Cette réflexion s’est répandue dans de nombreux domaines de l’entreprise, particulièrement dans celui des risques (risques industriels, risques professionnels) où les expériences passées peuvent être considérées comme des ressources à partir desquels bâtir des plans d’amélioration et de prévention.

Cette capacité d’« apprentissage » des organisations a fait l’objet de nombreuses recherches qui ont chacune porté leur attention sur des processus particuliers. On peut distinguer plusieurs ensembles de travaux: un premier ensemble souligne le rôle fondamental des instruments et des dispositifs de gestion dans l’apprentissage. En effet, ceux-ci facilitent la production des connaissances sur l’activité, l’évaluation de cette activité, la recherche des améliorations, la production de prescriptions, et peuvent jouer un rôle structurant pour l’activité. Ces travaux s’intéressent aux relations complexes et étroites entre l’instrumentation de l’action, la production de connaissances, et la transformation des pratiques de travail et des structures organisationnelles (Hatchuel, 1997 ; Moisdon, 1996 ; De Terssac, Friedberg, 1997).

Un deuxième ensemble s’intéresse plutôt aux dynamiques d’apprentissages propres aux collectifs de travail, et conduit souvent à relativiser la portée des dispositifs managériaux. Des recherches en sociologie montrent que le recueil, le traitement et la diffusion des connaissances n’est pas chose si aisée. La formalisation de savoirs tacites, la déconnexion entre savoir et action, la traduction dans des langages et des cadres d’action différents posent problème. Les pratiques de « retour d’expérience » s’inscrivent dans des systèmes d’action concrets, des cultures locales, des identités professionnelles, tout autant qu’elles contribuent à les transformer. Plus particulièrement à propos des accidents du travail, Nicolas Dodier (1994) montre bien comment les reconstitutions menées par les acteurs de la prévention révèlent ces jeux d’acteurs, les déplacent ou les cristallisent. On trouve des conclusions similaires dans les travaux de recherche en ergonomie, qui établissent un constat d’échec de pratiques de retours d’expérience. C’est par exemple le cas d’analyses des accidents de travail qui en restent à une compréhension superficielle du contexte social et organisationnel (Amalberti, 1996) et qui aboutissent souvent à un renforcement des procédures de sécurité et des dispositifs d’alerte. Selon ces travaux, il y aurait beaucoup à apprendre des pratiques informelles des collectifs de travail qui contribuent à la régulation des aléas et des dysfonctionnements : dans des contextes favorables, les opérateurs échangent sur leur expérience de gestion des risques, sur l’apprentissage du métier (Clot, 1995) sur le fonctionnement du travail collectif face aux risques (De la Garza, Weill-Fassina, 1995). Il s’agit de voies à explorer qui dépassent la formation aux outils de retour d’expérience (arbre des causes, analyse des erreurs, etc.) et la recherche d’une bonne pratique de REX.

Question de recherche

Face à la diversité des formes et des outils mobilisés par les retours d’expérience, il s’agira de s’interroger sur la définition même du retour d’expérience, pour lui donner un contour plus innovant que les démarches d’analyse des causes. Pour saisir les pratiques des entreprises en matière de prévention des risques industriels, il convient de développer une approche qui s’enracine dans le fonctionnement réel de l’organisation, en particulier les pratiques d’apprentissage existantes ; une approche qui décrypte les retours d’expérience à partir des pratiques concrètes des acteurs, de la manière dont ils créent, se saisissent mais aussi sont guidés par des outils et dispositifs, à partir des modes formels et informels d’élaboration et de circulation des connaissances. Le contexte organisationnel et social dans lequel ces pratiques se développent joue un rôle particulièrement important.

Il nous semble enfin que nos interrogations sur la contribution des dispositifs de gestion et des dynamiques collectives, à ces « apprentissages organisationnels », sont d’autant plus d’actualité que les activités à risque (comme les autres activités industrielles) connaissent aujourd’hui une certaine fragilisation des collectifs de travail ainsi qu’un éclatement des structures organisationnelles, liés au recours croissant à l’intérim et à la sous-traitance (Boltanski, 1999). La gestion collective du risque, y compris les dynamiques d’apprentissages et de « retour d’expérience », est-elle compatible avec une dispersion des tâches et des acteurs entre des organisations différentes ou des statuts disparates ? Quels instruments, quels démarches les organisations en réseau inventent-elles pour assurer cette gestion du risques et ces retours d’expérience ? Là aussi, y a-t-il des pratiques informelles, même au sein de ces collectifs précaires, qui participent à la prévention des risques ?

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