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Vers une «opérationnalisation» des notions et des méthodes se référant à la résilience des organisations

Équipe

Yves Dien (EDF R&D)

Contexte et enjeux

Les approches organisationnelles des entreprises gérant des risques se sont développées dans le domaine de la recherche anglo-saxonne depuis le milieu des années 1980, et organisées suivant deux grands courants de pensées:

  • L’un, axé sur les causes profondes et les dynamiques organisationnelles des accidents et des incidents graves, après Charles Perrow (théorie dite des « Accidents Normaux »), sur les vulnérabilités organisationnelles ;
  • L’autre, axé sur les conditions organisationnelles de ces systèmes sociotechniques gérant des risques (théorie dite des « Organisations à Haute Fiabilité »).

Le premier courant de pensée est majoritairement focalisé sur la compréhension des ces événements exceptionnels que sont les accidents, alors que le second est centré sur l’analyse du fonctionnement, du comportement organisationnel au quotidien.

Ces courants de pensée ont exercé une influence indéniable sur le développement des études et recherches universitaires concernant la sécurité industrielle. Toutefois, ils ont peu pénétré les milieux industriels où les managers, ingénieurs dans la quasi-totalité des cas, développent et mettent en œuvre leurs propres mesures et dispositions de sécurité (SGS ou SMS dans les « industries Seveso » ; « leviers du management » dans les centrales nucléaires françaises dans les années 1990 ;etc.). Les managers et les experts qui les accompagnent (la ligne d’expertise) font également une lecture propre des incidents de sécurité industrielle et des accidents, très (trop !) marquée d’une part par le concept d’erreur humaine et, d’autre part, par les outils classiques logico-déductifs d’analyse causale d’inspiration mécaniste (arbres des causes, entre autres).

Par ailleurs, les tentatives pour dépasser le seul point de vue des échecs, des défaillances, des erreurs humaines, dans les milieux industriels sont relativement rares. Le concept de résilience et ses conséquences ne font pas partie des discours managériaux. Quelques tentatives pour développer tout au plus les « bonnes pratiques » (cas des centrales nucléaires françaises dans les années 1990 et de certaines compagnies aériennes) ne semblent guère avoir abouti qu’à des catalogues de procédures et de règles concrètes classiques de travail.

Question de recherche

Entre autres raisons des difficultés de pénétration des idées et des méthodes relatives à la résilience organisationnelle, nous notons un certain flou définitionnel et l’absence de traductions concrètes de celles-ci à l’usage des personnels des systèmes sociotechniques à risques. Par ailleurs, l’articulation entre le niveau individuel/équipe de travail et le niveau organisationnel ne nous paraît pas être faite de façon convaincante et opérationnelle, notamment si l’on veut intégrer dans le réflexion les travaux faits en France sur les habiletés, les savoir-faire, les connaissances pratiques, qui ont été conduits dans les Sciences Humaines de Travail (ergonomie, psychodynamique du travail, anthropologie du travail), a fortiori un certain nombre de travaux étrangers en Europe (F. Bohle et B. Milkau sur la constitution et la reconstitution des savoir-faire ouvriers lors de changements technologiques) ou aux États Unis (M. Baccus et l’ethnométhodologie du travail dans le domaine de la sécurité).

L’approfondissement des liens entre ces niveaux nous paraît être un point de passage obligé si l’on vise l’émergence de pratiques de résilience organisationnelle dans les systèmes à risques.

Une autre raison de la percée difficile des notions, méthodes et travaux relatifs à la résilience est plus épistémologique. Les conditions d’une pathologie sont plus aisées en général à définir que les conditions d’une « bonne santé », de l’absence de pathologies, si l’on s’en tient à la « métaphore médicale » (cf. en particulier A. Fargot-Largeault, 1989). Les spécialistes de la fiabilité traitent presque toujours de la fiabilité des systèmes techniques en adoptant l’approche duale, inverse, celle de la défiabilité, c’est-à-dire des défaillances, des erreurs, des dysfonctionnements, de la vulnérabilité.

Un travail de clarification, d’explication et d’illustration doit par conséquent être conduit dans le domaine que la résilience est susceptible de couvrir. Ce projet propose de développer cette réflexion en s'appuyant sur la bibliographie existante, ainsi que sur des enquêtes approfondies menées depuis une dizaine d’années, suite à des accidents ou des incidents sérieux, ou par des bilans critiques de sécurité ou des conditions de travail dans des entreprises ou des organismes.

Productions

Le projet visera à rendre opérationnels et abordables par des experts et managers des secteurs industriels à risques les notions et méthodes se rattachant au concept général de résilience (organisationnelle). Plus spécifiquement, il vise à :

  • Clarifier les différentes notions que peut couvrir la résilience ;
  • Catégoriser et expliciter les connaissances théoriques et empiriques sous-tendues par les différentes approches qui se réclament de la résilience ou peuvent être rattachées à ce concept et aux préoccupations correspondantes ;
  • Illustrer ces notions et connaissances à partir d’exemples tirées de terrains organisationnels sur lesquels nous avons mené des investigations, et tirés par ailleurs de la bibliographie ;
  • Articuler les approches se réclamant de la résilience par rapport à celles s’intéressant à la vulnérabilité des organisations ;
  • Traduire les résultats de façon opérationnelle ou « opérationnalisable » par des organisations complexes gérant des risques importants (chimie, nucléaire, aéronautique, pharmacie industrielle, etc.) et esquisser des orientations en matière de méthodes, d’outils pour développer la résilience organisationnelle et l’évaluer.