De la perception des risques à la construction de la sécurité dans le métier de guide de haute montagne
Girard, A. (2024). De la perception des risques à la construction de la sécurité dans le métier de guide de haute montagne. Prendre et faire prendre des risques en sécurité. Psychologie. Université Grenoble Alpes.
Our opinion
Ce mois-ci, nous avons choisi de résumer (il serait plus exact de dire qu’il s’agit d’un méta résumé) une remarquable thèse universitaire de psychologie soutenue par un guide de haute montagne, Antoine Girard.
Ce travail est précieux car il concerne les enjeux et solutions de la sécurité de beaucoup de métiers artisanaux à risque. Ce sont des métiers de niche émiettés dans des centaines de TPE et PME qui représentent tout de même à la fin des milliers de travailleurs.
La sécurité dans ces industries de niche à haut risque reste bien éloignée des solutions de sécurité de la grande industrie. On peut le regretter, mais c’est le modèle économique à court et long terme de survie de l’entreprise, et les dimensions liées à la relation aux clients, qui définissent le type de sécurité réellement développé. Ces « petits métiers » à haut risque sont exposés à des contraintes finalement peu encadrées, laissées à la décision de « sachants » plus que de règles et de lois à respecter.
Ce travail rejoint les travaux en cours de la Foncsi sur le « vivre avec », le sous-titre de la thèse est d’ailleurs lui-même évocateur de cette démarche « Prendre et faire prendre des risques en sécurité » car, comme souvent dans ces professions, on ne peut pas sécuriser en supprimant les contraintes sans tuer le métier.
Notre synthèse
Cette recherche s’inscrit dans le champ de la sécurité des activités artisanales. Elle vise la compréhension et l’amélioration de la sécurité de la profession de guide de haute montagne, système artisanal par excellence, mais ses leçons visent au-delà à mieux comprendre la manière dont la sécurité peut se construire dans ce type de systèmes encore peu analysés.
Le travail consiste à analyser la manière dont les guides, travailleurs indépendants, régulent en permanence leur prise de risque face aux dangers naturels, tout en prenant en compte les autres dimensions de l’activité (économique, servicielle, sociale, etc.).
Les données proviennent de quatre études :
- des entretiens sur la perception des risques avec des guides de haute montagne qui préparent leurs courses ;
- des observations de la préparation de ces courses en haute montagne ;
- des observations pendant des courses en haute montagne ;
- et une analyse en zoom des « arbitrages risqués » observés dans l’activité.
Très plaisante à lire, la thèse est bien illustrée de cas concrets et de verbatims, et est très riche en données.
Le métier de guide et les différents enjeux des risques à maîtriser
En France, guide de haute montagne est considéré comme le plus dangereux des métiers. La base de données d’accidentologie recense 4320 accidents dont 132 mortels entre 2003 et 2018, soit une moyenne de 8,25 par an pour environ 1600 membres actifs. Ce taux très élevé (un peu supérieur à 10-2 ) est relativement stable depuis les années 70, sans amélioration notable. Pour autant, les questions de sécurité occupent une place de plus en plus importante au sein de la profession.
Ce paradoxe tient à des changements profonds dans l’activité de guide, confrontée à plusieurs risques de nature parfois antagonistes à gérer au quotidien :
Le besoin de travailler pour en vivre et donc de faire suffisamment de courses dans l’année, ce qui s’avère de plus en plus difficile et force parfois à accepter le peu acceptable.
La transformation de l’éco système de montagne avec des risques croissants de surprises.
Une judiciarisation croissante des accidents dans une société devenue de plus en plus critique et qui voudrait limiter les accès et la pratique de la montagne.
Une temporalité de la course confrontée à la fois à de multiples aléas, notamment l’agenda client, et aux caprices de la météo.
L’adéquation nécessaire de la course au plaisir, à la demande du client tout en jugeant du « profil » de ce client, adéquation qui n’est pas toujours partagée par ce client qui peut surestimer facilement ses compétences.
Les propres contingences liées à la santé du guide lui-même.
Adaptation et arbitrage
L’injonction d’adaptation aux conditions changeantes et l’arbitrage dans toutes ces dimensions sont à la base du modèle développé dans la thèse.
Le modèle de sécurité proposé dans la thèse articule deux filiations de travaux.
Archétype des systèmes artisanaux
La profession de guide de haute montagne représente un archétype des systèmes artisanaux qui constituent des systèmes peu sûrs, très performants et hautement concurrentiels. Ces systèmes regroupent des métiers dont la prise de risque constitue l’essence même du modèle économique et qui se distinguent par la capacité à affronter l’inconnu, à innover et à maîtriser de nouveaux contextes. L’autonomie des individus et la compétition entre acteurs prend souvent le pas sur une organisation hiérarchique de groupe et sur la normalisation des pratiques.
Les connaissances sur ces modèles sont largement reprises des travaux de Gaël Morel, René Amalberti, Christine Chauvin dans les années 2000 sur le métier de marin pécheur, devenus références internationales sur la sécurité des systèmes artisanaux avec l’introduction de la distinction entre sécurité réglée et sécurité gérée.
Champ des activités de service
Le métier de guide de haute montagne s’inscrit également dans le champ des activités de service qui se caractérise par la participation du client à toutes les étapes de la prestation avec une coproduction entre professionnels et bénéficiaires.
Ce second volet relatif aux conséquences du couplage étroit du guide avec son client (acceptation initiale de la demande, renégociation du « contrat » qui s’apparente à une opération commerciale et qui s’avère plus ou moins possible, ajustement en ligne contextuel et aux risques qui en résultent…) est plus novateur dans le cadre d’un modèle de sécurité industrielle. Antoine Girard, le postulant, s’est fortement inspiré pour cela de travaux publiés par ses encadrants sur la relation de service (voir le livre de Marianne Cerf et Pierre Falzon, P. (2005). Situations de service : travailler dans l’interaction, PUF.).
Rappelons que ces derniers auteurs et leurs élèves ont cadré de façon théorique ce domaine de la négociation verbale entre clients et prestataires sans spécifiquement le focaliser au départ sur la sécurité.
Ils distinguaient notamment :
- les activités de service comme un cadre général,
- les situations de service qui se réfèrent aux situations de travail particulières,
- et les relations de service qui représentent les modalités spécifiques d’interaction entre les acteurs.
Ils en déduisaient trois niveaux dans la relation de service :
- le niveau relationnel pour l’évitement des conflits et la gestion des tensions,
- le niveau contractuel pour le partage des règles de l’organisationnel et un modèle commun de contrat
- et le niveau transactionnel pour la relation directe entre la tâche et la négociation du mode de résolution des problèmes.
Adopter cette perspective implique qu’une situation de service particulier doit être analysée comme un couple professionnel-client dans un système socio-économique spécifique. Les activités médicales sont un exemple typique d’activité de service à risque dans les publications de ces auteurs et de leurs élèves.
On retiendra qu’Antoine Girard a mixé habilement et de façon originale ces deux approches (réglé-géré et relation de service) pour produire une contribution théorique innovante à la sécurité industrielle. Le rapprochement des deux cadres d’analyse rend possible l’identification et la modélisation de notions de frontières, marges, zones, compromis et sacrifices qui permettent de baliser les espaces d’adaptation nécessaires pour gérer des imprévus, mais qui doivent elles-mêmes être anticipées et contrôlées afin de rester dans les limites acceptables.
La question économique
Autre contribution innovante, la thèse aborde longuement la question économique du métier comme une variable essentielle à la compréhension et au réglage du modèle de gestion des risques.
La majorité des guides de haute montagne exercent en tant que travailleurs indépendants. La recherche de clients n’a rien d’évident pour ce statut d’indépendant et implique de dépendre de plus en plus d’intermédiaires (agences, etc.) et de fixer en partie ses propres tarifs qui doivent être suffisamment élevés pour pouvoir en vivre tout en restant attractifs et compétitifs. La réalité montre que ces tarifs sont souvent sous-estimés : 1 guide sur 5 propose des tarifs inférieurs à la moyenne pour essayer de rester concurrentiel, et 2 guides sur 3 ne demandent presque jamais d’acompte, de sorte que les annulations sont souvent sans dédommagement même en cas de conditions météo difficiles. De fait, plus d’un guide sur 4 (28 %) déclare ne pas travailler autant qu’il le souhaite et être en recherche permanente de clients.
Il est habituel que ces guides de haute montagne exercent une ou plusieurs autres activités pour survivre. Le nombre de jours travaillés représente un peu moins d’une centaine par an et on a aussi un fort contexte de mobilité nécessaire, puisque 20 % des guides déclarent vivre plusieurs mois par an dans un autre logement que le leur. Il leur devient ainsi difficile de générer les revenus suffisants sans un certain niveau de compromis risqué, y compris dans la sphère familiale.
La thèse se poursuit par une taxonomie des différents types de risques propres aux courses en haute montagne.
Toute cette fragilité sociale et cette accidentologie renvoient aussi à la condition physique du guide et à sa santé, domaines très peu abordés dans la littérature mais où l’usure physique, psychologique et sociale (sphère privée) sont particulièrement présents, surtout avec ces difficultés financières à exercer.
Apports des quatre études de la thèse
Etudes sur la préparation de la course
Les deux premières études portent sur la préparation de la course en montagne et éclairent particulièrement la notion de perception des risques, d’anticipation de ce qui est maîtrisable et de ce qui est plus aléatoire et difficilement maîtrisable, en jouant sur la négociation du contrat de départ.
On y apprend que la perception du risque mobilise à la fois des données sur la situation à affronter, sur soi-même et sur le client. Parmi ces données, on citera notamment la mémoire de ce que l’on a vécu (les accidents passés) et de ce que l’on connait des accidents « célèbres » survenus aux autres, sa propre méta-connaissance de ce qu’on croit être ses propres points forts et faibles, et bien sûr la connaissance actualisée des difficultés particulières de la course envisagée — elles-mêmes objets d’une taxonomie connue des guides sur les dangers (pente, éléments instables, crevasses…), les risques spécifiques du moment (météo, …) —, et enfin les facteurs liés aux clients.
Cette perception des risques dirige la préparation du travail, construit — en écho des représentations de Rasmussen sur la migration des pratiques — un « espace des situations acceptables », résultat de toutes les contraintes précédentes (personnelles, locales et propres à la technicité de la course et aux éléments du jour, et celles liées au client). Les possibles deviennent forcément plus restreints pour proposer l’exécution attendue, tout en intégrant déjà des réponses aux aléas redoutés pour rester raisonnablement gérable et sûr, et en renonçant à certaines options jugées incontrôlables.
Les résultats acquis par ces deux premières études soulignent un point important : les contraintes liées au client (sa demande, sa satisfaction, ses possibilités de renégociation) sont au sommet et au centre de tous les arbitrages réalisés. Elles règlent et modulent en cascade toutes les autres contraintes dans un espace de faisabilité et de compromis.
Il s’agit bien sûr de préserver au maximum les priorités du contrat, la demande mais aussi la sécurité de ce client, avec un autre élément plus personnel en arrière-plan immédiat : le fait que tout renoncement trop prudent peut rapidement mettre en péril l’économie du métier.
Dans bien des cas, cette priorité donnée à la demande du client confronte le guide à une gestion quasi impossible des autres contraintes, et nécessite une négociation qui renvoie à tout le savoir-faire sur les situations de service pour lui proposer « une alternative » viable tant sur le plan de la satisfaction, que sur le plan sécuritaire et le plan économique.
Bien sûr cette préparation doit se confronter par la suite à la réalité du terrain et à ses surprises pour s’incarner totalement dans le modèle de sécurité. On retrouve là des éléments déjà largement publiés dans la littérature internationale sur la préparation du travail (notamment les travaux sur la préparation des vols pour les pilotes de chasse, Amalberti, 1992) et, depuis, de très nombreux travaux sur la construction de la préparation du travail et des briefings dans les activités à risques dans diverses industries, le tout inspiré des travaux de Rasmussen sur la gestion et le réglage d’un espace dynamique de situations acceptables.
Ces préréglages de l’activité à venir conditionnent la sécurité en anticipant les aléas, avec à la clé un important travail de renoncement sur une partie des choix possibles qui seraient les moins désirables et les plus porteurs d’aléas incontrôlables. Le plus grand renoncement étant de renoncer à effectuer le travail, mais c’est un choix souvent impossible car il s’exerce au détriment des revenus et de la pérennité du métier et engendre évidemment un plus grand coût économique.
Etudes sur l’exécution réelle des courses
La troisième étude porte sur la gestion des risques dans l’exécution réelle de courses en montagne. Antoine Girard a suivi comme observateur-participant — dans une démarche quasi ethnologique — ses collègues guides engagés avec des clients dans des courses de haute montagne, en notant et enregistrant toutes les décisions de sécurité prises par le guide de cordée, et leur efficacité.
On observe que dans chaque situation analysée le guide ne cherche ni à éliminer complètement le risque, ni à appliquer la solution la plus sûre.
Le guide cherche continuellement à maîtriser les risques de manière suffisante afin de maintenir une situation acceptable. Cette activité de réalisation d’une course en haute montagne confirme la vaste littérature des années 1990-2000 sur la gestion des situations dynamiques (Woods et Sarter, 1998, 2000, Amalberti, 1999, Sarter et Amalberti, 2000, Endsley, 2002, etc.).
Une part importante de l’activité du guide consiste à observer et à intégrer des éléments pertinents afin de construire continûment une représentation fiable de la situation et d’agir de manière à se maintenir dans une situation acceptable dans le temps face à la dynamique du réel.
Une situation acceptable peut être comprise comme une situation dans laquelle le couplage permanent des éléments pertinents qui la composent génère une performance suffisante aux yeux du guide. L’adaptation du modèle de la conscience de la situation de Mica Endsley est particulièrement utile pour éclairer ce qui compte et qui est pris en compte par le guide dans son identification des contraintes et de leur évolution pendant le travail.
- Le guide mobilise fortement ses connaissances sur l’itinéraire, sur ses propres capacités et sur ses clients pour élaborer des plans à l’avance.
- L’analyse des objectifs à tenir dans la course montrent que le guide cherche non seulement à éviter tout accident mais également à construire et préserver les ressources de ses clients et veiller au plaisir tout en cherchant à maintenir un horaire admissible, en évitant au maximum les surprises et les pressions de tous ordres.
Etudes sur les arbitrages risqués
La quatrième étude se concentre sur la gestion en ligne des compromis et des arbitrages en prolongation des analyses précédentes.
Des ressources doivent être allouées aux différents objectifs cités précédemment qui peuvent être en concurrence, ce qui implique sans cesse des compromis et des arbitrages.
Les données montrent que l’espace des solutions possibles et des itinéraires et conditions choisies est finalement assez grand en jouant sur la combinaison de toutes les contraintes pour offrir plusieurs réglages possibles, ce qui explique des variations assez sensibles dans les choix d’un guide à l’autre.
Cette quatrième partie regarde particulièrement dans ce contexte « les arbitrages risqués ». Ces arbitrages risqués sont des arbitrages en faveur d’options impliquant une augmentation du risque d’accident mais présentant des avantages en contrepartie.
Ils relèvent de décisions pas complétement sécurisées par les savoirs du guide, subies plutôt que vraiment choisies, par exemple des décisions devenues prisonnières du temps écoulé et de l’avancement de la course. Typiquement, le couplage en série des mécanismes d’arbitrage renvoie au constat du caractère dynamique et irréversible de la course. Au fur et à mesure de l’avancement dans la course, rebrousser son chemin peut devenir par exemple vite impossible en haute montagne.
Les arbitrages deviennent tous fortement interreliés : par exemple, décider de s’engager avec ses clients sur cet itinéraire particulier signifie devoir arbitrer selon les seules options que ce premier arbitrage rend possible par la suite ; ou décider de rejoindre tel ou tel refuge va limiter fortement les options possibles aux seuls itinéraires envisageables depuis ce lieu.
Ces arbitrages risqués peuvent être abordés comme des processus résultant de 3 mécanismes :
L’erreur d’appréciation de la situation
Elle conduit typiquement à une prise de risque non volontaire.
La recherche de performance
L’arbitrage risqué est basé sur une juste représentation d’une partie du risque de la situation dans laquelle le guide s’engage et auquel il souhaite se confronter. La prise de risque est dans ce cas assumée.
Le sentiment d’obligation
Il existe une juste représentation du risque de la situation mais le contexte oblige le guide à s’engager dans la confrontation (changement météo soudain, contrainte inattendue). Dans ce cas, la prise de risque est subie.
On retient que beaucoup d’arbitrages ont pour effet de diminuer les options possibles dans la suite de la course. Mais on observe aussi que les jugements d’acceptabilité que le guide exprime a posteriori sur ses propres arbitrages passés ne semblent pas uniquement dépendre de l’estimation directe de la prise de risque immédiate et objective. Certains choix d’options plus risqués sont par exemple jugés aussi acceptables que des choix moins risqués ou, dit autrement, du point de vue du guide, la prise de risque ne peut constituer le seul critère d’acceptabilité des arbitrages. Ceux-ci doivent être également analysés au regard de leurs effets attendus y compris (surtout) pour le client : protection, faisabilité mais aussi acceptabilité, déception, niveau d’explication à donner, de conviction, et in fine de facturation, etc.
Une forme de taxonomie de ces arbitrages risqués des guides renvoie à des finalités toutes inscrites dans une échelle temporelle très large prenant en compte un spectre qui va :
- De la gestion d’une émotion fugace lors de la course à la gestion des buts propres sur la saison ou sur la carrière,
- De la gestion d’un client sur un passage technique à sa formation dans la perspective d’une nouvelle interaction future,
- Ou encore au respect du cadre contractuel de la course pour maintenir sa crédibilité avec un organisme prestataire pourvoyeur de travail, etc.
Au total la pratique et la maîtrise de ces arbitrages risqués relèvent d’un double compromis micro et méso-centré :
Compromis micro-centré
Le guide en tant qu’acteur de première ligne doit régler en permanence pendant la course.
Compromis méso-centré
Le guide en tant que travailleur indépendant doit régler dans le temps plus long de la saison ou de la carrière.
On retient que ces arbitrages risqués du guide ne relèvent pas uniquement d’une question d’erreur ou de non-conscience des risques, et ne doivent pas nécessairement être interprétés comme des comportements coupables ou défaillants dans ce contexte.
Ils sont plutôt le résultat du double compromis de gestion micro et méso-centré que le guide cherche dynamiquement et continûment à tenir dans ses activités professionnelles.
Les guides eux-mêmes ne sont pas toujours satisfaits de ces arbitrages. Les expériences vécues permettent l’affinage progressif du réglage de compromis avec l’expérience et la confrontation à des situations à risque jugées a posteriori inacceptables.
Il s’agit donc d’une mise en évidence d’une compétence d’arbitrage qui peut s’envisager comme une capacité de décision au regard de la représentation qu’a le guide des éléments de la situation ainsi qu’une capacité à envisager les effets positifs et négatifs de ces décisions à différentes échelles spatio-temporelles (courses, saison, carrière).
Dans une perspective aidante, il peut donc être pertinent de chercher à construire plus vite et mieux cette compétence en trouvant les moyens de la développer sans engendrer de prises de risque excessives. On comprend que les prises de risques résultent aussi d’une volonté d’équilibrer des dimensions contradictoires à différentes échelles.
Bien sûr le modèle connait ses limites : plus les contraintes qui s’appliquent sur la prise de décision du guide sont fortes, plus les éléments à régler simultanément sont nombreux, plus il y a de chances que la régulation aboutisse à une situation peu acceptable au point de vue du risque d’accident.
Quelles leçons pour la sécurité industrielle des PME à risque ?
Ce cas du métier de guide de haute montagne illustre le modèle de sécurité extrême de métier artisanal à risque, tout comme l’ont été dans le passé les études historiques sur les pilotes de combat (Amalberti, 1992) et sur les marins pêcheurs (Morel, Amalberti, Chauvin 2008).
Ce modèle retrouve et confirme ce qui était déjà connu de la gestion des risques dans ces situations extrêmes (notamment les compromis entre dimensions du risques endogènes-savoir-faire et exogènes-propres à la situation), et lui ajoute trois dimensions importantes de compréhension du réglage du risque, ignorées, ou en tout cas insuffisamment prises en compte dans les modèles historiques.
Il s’agit de la priorité donnée à la satisfaction du client au sens général qui vient prendre le pas sur la gestion des risques objectifs de la situation de travail, de même que la priorité donnée à l’économie immédiate de la profession (le revenu), et plus globalement la priorité donnée à l’économie du métier sur le long terme (la survie de l’entreprise).
Beaucoup de PME se reconnaitront dans ces priorités. Un tel modèle devient très pertinent pour éclairer la gestion des risques de toute une classe de PME artisanales travaillant sur des secteurs à risque : beaucoup de PME de la construction travaillant sous la pression du client dont dépend leur survie commerciale ; des PME engagées dans les services à l’énergie et confrontées à l’urgence de satisfaire le client ; les métiers de la mer et particulièrement les marins pêcheurs ; plusieurs domaines de la santé, de la logistique, de la pétrochimie et bien d’autres métiers de niche, etc.). Certes, ce sont toutes des petites entreprises, mais qui représentent in fine des centaines de milliers de travailleurs.
On comprendra aisément que dans tous ces métiers et situations, les modèles ultra-prudents de la sécurité classique qui font facilement renoncer à l’exposition au risque n’ont pas de pertinence. Le propre de ces métiers est au contraire de prendre des risques, et de les contrôler pour survivre. C’est la clé d’entrée de toutes les aides que l’on peut proposer : (mieux) vivre avec le risque, sans renoncer, sinon le métier disparait.